Ukraine : les dernières ouailles du père Igor gardent la foi malgré la destruction de leur ville
Ukraine : les dernières ouailles du père Igor gardent la foi malgré la destruction de leur ville.
Kharkiv (Ukraine) (AFP) - Aux grandes heures de Vovtchansk, une petite ville du nord-est de l'Ukraine, la messe de Pâques attirait plusieurs centaines de paroissiens, dont certains communiaient dehors, faute de place dans l’église.
Mais en cette douce matinée ensoleillée d'automne, ils ne sont que neuf à se serrer autour de leur prêtre, le père Igor, dans la vaste église néobyzantine de la Dormition de Kharkiv qui les accueille exceptionnellement.
Femmes en fichu, hommes chenus tête basse. Tous au moins sexagénaires, rescapés de l'offensive russe qui a rasé leur ville située à 5 km de la frontière, surtout depuis le déluge de feu en cours depuis le 10 mai.
"Très peu de gens sont restés à Vovtchansk. Les gens les plus forts, vraiment les plus forts, sont demeurés sur place. Les voici derrière moi", poursuit l'archiprêtre, longue barbe grise mordant sur sa robe noire. "Et ils ont fini par être évacués, ils sont partis eux aussi après le 10 mai", soupire l’ecclésiastique, carrure massive et regard chaleureux.
Ce jour-là, les forces russes ont ouvert un nouveau front en attaquant à partir du nord, la région de Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine, à une soixantaine de kilomètres de Vovtchansk.
Fin mai encore, la petite église des Myrophores, briques orangées et toiture verte, se tenait apparemment à peu près intacte dans le champ de ruines qu'était déjà devenu le centre de cette cité qui comptait 20.000 habitants avant la guerre, selon des images prise par des drones de l’armée ukrainienne.
Le père Igor (prononcer "Ihor", à l’ukrainienne) n’y voit aucun miracle. "D’abord, les murs sont épais. Ensuite, peut-être l’église a-t-elle été d'une certaine manière épargnée, ils (les artilleurs russes) n’ont pas beaucoup tiré dessus, même si on peut voir (sur les images vidéo) les cratères creusés par des drones autour" d'elle.
De toute façon, c’est du passé. Les dernières images satellitaires consultées le 25 septembre par l’AFP et Bellingcat, un collectif indépendant enquêtant grâce à l’Open Source Intelligence (Osint, utilisant investigation numérique et données publiques), ne permettent plus de distinguer que quelques pans de murs noircis, là où se dressait cet édifice datant de 1910.
- "Priez pour nous, ici c'est l'enfer !" -
Depuis qu’il a été nommé prêtre à Vovtchansk en octobre 2022, la petite ville vient alors d’être reprise aux Russes par les forces ukrainiennes, Igor Klymenko a vu tomber plusieurs de ses paroissiens, au point d’en perdre un peu le compte.
"Nous avons eu d’abord cette dame tuée par un éclat dans notre potager un dimanche". Le prêtre se retourne vers ses ouailles : "Vous vous souvenez, quand déjà Olga a-t-elle été tuée ? Ah oui, il y a un an. Le 8 octobre 2023 ; Elle était probablement partie arracher des carottes dans le potager pour les ramener à l'église et elle a été transpercée par un éclat d’obus".
L’archiprêtre de 55 ans a officié pour la dernière fois à Vovtchansk le 5 mai. Il avait prévu d'y retourner dire la messe le dimanche suivant, comme d’habitude.
"Mais dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 mai, tout a commencé. Raïssa (une de ses paroissiennes) m'envoie un message en pleine nuit. Père, priez pour nous car ici c’est l’enfer ! Elle m’a rappelé le matin et au téléphone j’entendais les obus éclater, éclater, éclater", se rappelle l’ecclésiastique avec une émotion intacte.
La même Raïssa Zymovska qui perdra son mari Volodymyr abattu, très vraisemblablement par un tireur embusqué russe, selon elle, au moment de leur tentative de fuite de Vovtchansk en voiture le 16 mai.
Le père Igor - dont le visage n’est pas sans évoquer celui de Séraphin de Sarov, un des saints orthodoxes les plus vénérés, pour son humilité - n’est pas de Vovtchansk : il officiait auparavant dans l’église de la Dormition de la commune voisine de Roubijné, où il était exploitant agricole.
"J’avais une grande ferme : un cheval, deux bœufs, deux truies, douze porcelets, des poules . Nous avons tous dû abandonner Roubijné le 22 mai, quand notre village a été à son tour bombardé. Nous avons tout laissé derrière nous. Je n’ai pu prendre dans l’église que les documents et les objets sacrés".
- "In absentia" -
Pour tous ces morts dont les corps sont restés sur place, le père Igor a récemment célébré dans un cimetière de Kharkiv des funérailles "in absentia", un rite qui permet au moins symboliquement d’offrir une sépulture à une âme.
Il appartient à l’Eglise ukrainienne orthodoxe, dépendant du patriarcat de Moscou. Le sujet religieux est extrêmement sensible en Ukraine - une église ukrainienne orthodoxe indépendante de la Russie existe depuis décembre 2018. L'ecclésiastique prie ses interlocuteurs de ne pas l’interroger "sur la politique".
Les paroissiens de Vovtchansk, des paysans, de petits employés, ont fui en laissant derrière eux tous leurs biens mais il émane du petit groupe une solidarité et une foi impressionnantes.
On a du mal à croire Oleksandre Garlytchev, 70 ans, quand il raconte être brièvement retourné mi-septembre dans son logement de Vovtchansk.
Pourquoi avoir ainsi risqué sa vie ? "Pour récupérer des pièces détachées de ma voiture", une improbable Volga modèle Gaz 24 vieille de 44 ans, explique-t-il dans un sourire tranquille. "Mais surtout pour mon livre de chants religieux, que j'utilise depuis 24 ans à l'église. Nous avons besoin de davantage de bonté, de compassion entre nous".
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Le père Igor Klymenko et ses paroissiens devant l'église de Vovtchansk (nord-est de l'Ukraine) avant sa destruction © HANDOUT/AFP -