Sur un stand de tir américain, la gâchette se féminise
Sur un stand de tir américain, la gâchette se féminise.
Owings Mills (Etats-Unis) (AFP) - Vêtue d'un tee-shirt rose siglé "Une fille et un flingue", Charneta Samms tient Adrian Williams par les épaules, l'aide à mieux tenir son pistolet, tandis que claquent les détonations dans les pas de tir à côté, tous occupés par des femmes.
Les douilles s'accumulent sur le béton ciré de ce stand de tir de la banlieue boisée de Baltimore, dans l'est des Etats-Unis. Arme à la main, ces six femmes noires se perfectionnent au maniement de petits calibres au sein d'un groupe dédié.
Cette passion pour les armes individuelles, si américaine et bien souvent masculine, se démocratise : de plus en plus d'Américaines possèdent une arme, et Charneta Samms fait tout pour porter cette dynamique.
"Je crois que malheureusement, le monde devient un peu fou", explique cette ingénieure dans l'armée. "Et donc je pense que c'est important que les femmes puissent se défendre elles-mêmes".
Elle a commencé parce que tirer, "c'était sympa", avant de penser à l'autodéfense, jusqu'à devenir instructrice et prendre la tête de la section locale de l'association nationale "Une fille et un flingue" ("A Girl and a Gun").
Pour cette "soirée entre filles", rendez-vous est donné un soir de semaine au café du stand de tir. Assises, du poulet frit dans les mains, elles confient leur relation aux armes, avec le sentiment d'être des pionnières de l'égalité de genre.
"Des gens sont surpris", raconte Marcia Threatt, "ils font je n'aurais jamais pensé que tu puisses être ce genre de personne". Fine silhouette sous sa casquette noire, cette interprète en langue des signes de 59 ans explique : "Je ne ressemble pas à l'image habituelle" de l'individu armé.
- "La pauvreté et la violence" -
Aux Etats-Unis, le profil typique du propriétaire d'arme à feu est en effet un homme blanc, plutôt rural et penchant à droite politiquement.
Mais les clichés sont de moins en moins vrais.
Entre 2013 et 2023 aux Etats-Unis, la part des femmes déclarant détenir une arme à feu a plus que doublé, passant de 12% à 25%, quand la part des hommes a faiblement augmenté (de 37% à 40%), selon le très respecté Pew Research Center.
L'envolée des ventes d'armes à feu en 2020, année du Covid-19 et de grandes manifestations, parfois violentes, contre le racisme et les abus policiers, s'est particulièrement vérifiée chez les femmes : elles ont constitué près de la moitié des nouveaux propriétaires d'armes, a relevé une publication scientifique.
Kenya Watkins est l'une d'elles. Il y a trois ans, elle habitait dans le centre de Baltimore, ville dont l'insécurité est si tristement célèbre qu'elle a fait l'objet d'une série télévisé devenue mythique, "Sur écoute" ("The Wire").
Au milieu de "la pauvreté et la violence, tout le temps", elle avait peur pour sa fille de 24 ans.
"Etre une jeune femme afro-américaine vivant seule à Baltimore... Je ne voulais pas qu'elle soit la victime de quelqu'un", se souvient cette enseignante de lycée. "Donc elle et moi, on s'est mise ensemble pour décrocher notre permis d'arme de poing".
- Gruyère -
"Je mesure un mètre cinquante", ajoute Adrian Williams, infirmière de 45 ans. Face à l'idée d'un homme menaçant à large carrure, "j'ai quelque chose qui me donne une chance de l'emporter", estime-t-elle.
Kenya Watkins a elle déménagé depuis dans un quartier plus tranquille, mais sa "passion est allée grandissante". Elle vient de temps en temps à ces sessions, y trouvant "des femmes qui pensent comme (elle)" et qui, comme elle, se tiennent ce soir-là droites, calibre en main, déterminées à réduire leur cible en gruyère.
Derrière elles, Charneta Samms observe et donne des conseils, comme un vieil homme en rouge, Russ Leith.
Casque anti-bruit sur la tête, ce retraité qui travaille ici trois jours par semaine comme agent de sécurité n'est pas mécontent d'avoir de plus en plus de femmes. "Elles sont plus faciles à gérer que les hommes, elles veulent apprendre", dit-il, "alors que les mecs font les machos".
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Charneta Samms (g) aide Chakiar Trotman à tirer au pistolet, lors d'un entraînement de femmes membres de l'association nationale "Une fille et un flingue", le 27 septembre 2023 à Owings Mills, près de Baltimore, dans le Maryland © AFP Kent Nishimura