Nouvelle-Calédonie : vote au Sénat sur fond de tensions locales
Nouvelle-Calédonie : vote au Sénat sur fond de tensions locales.
Paris (AFP) - Engluée dans une profonde crise économique, la Nouvelle-Calédonie voit une partie de son avenir institutionnel s'écrire à Paris, où le Sénat vote mardi une réforme constitutionnelle qui exacerbe les tensions entre loyalistes et indépendantistes sur l'archipel.
Dans l'après-midi au Palais du Luxembourg, les sénateurs s'apprêtent à approuver une mesure susceptible de bouleverser les équilibres politiques locaux : le dégel du corps électoral du scrutin provincial de cette collectivité du Pacifique.
Assez technique, cette révision constitutionnelle est aussi décisive que contestée. Il s'agit de permettre à tous les natifs de Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'aux résidents établis depuis au moins dix ans, de voter aux élections provinciales, essentielles sur l'archipel où les trois provinces détiennent une grande partie des compétences.
Etabli en 1998 par l'accord de Nouméa, le corps électoral de ce scrutin est gelé, ce qui a pour conséquence, 25 ans plus tard, de priver de droit de vote aux provinciales près d'un électeur sur cinq...
C'est le cas de Sébastien Buchmann, installé en Nouvelle-Calédonie depuis 15 ans. Pour ce chef d'entreprise de 56 ans, le dégel "est une évidence", "c'est le minimum pour des gens qui contribuent à ce pays", dit-il à l'AFP.
Dans l'autre camp, on craint au contraire que le dégel "ne vise qu'à minoriser encore plus le peuple autochtone Kanak", s'inquiète Agnès Kawamoto, 39 ans. Cette indépendantiste, native de Nouvelle-Calédonie, affirme que les parties locales "ont besoin de parler d'abord du contenu d'un accord (institutionnel) global" avant d'aborder le corps électoral. "Pas l'inverse."
- Nickel et taxe carburant -
Le vote du Sénat n'est que la première étape d'un parcours parlementaire sinueux pour ce projet de loi constitutionnelle. Il devra ensuite être adopté dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale avant d'être approuvé par tous les parlementaires réunis en Congrès à Versailles au début de l'été, aux trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Mais ce volet législatif, examiné à 17.000 kilomètres de Nouméa, reste surtout lié à un contexte local très inflammable.
L'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie reste en effet toujours en suspens: les négociations entre mouvements indépendantistes et non-indépendantistes sont à l'arrêt depuis plusieurs mois, alors que le prochain scrutin provincial est censé se tenir avant le 15 décembre.
La situation économique est tout aussi sensible, avec une filière nickel en grande difficulté et un projet controversé de "taxe carburant", finalement retiré à la demande du gouvernement calédonien et de son président indépendantiste Louis Mapou après plusieurs jours de blocage des dépôts de carburant.
Les mouvements indépendantistes continuent d'exiger le retrait d'une réforme constitutionnelle vue comme un "passage en force" et ont lancé un appel à manifester mardi sur l'archipel. Quant aux loyalistes, ils appellent les parlementaires à acter ce dégel du corps électoral, susceptible de modifier les rapports de force politiques en leur faveur.
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin défend lui "une formule de compromis équilibrée, respectueuse de la démocratie et des engagements internationaux" de la France.
- "Neutralité" -
Mais si le principe d'un dégel semble faire consensus au Parlement, la méthode employée par le gouvernement exaspère les oppositions et notamment la gauche, qui accuse l'exécutif de tordre le bras aux négociations locales pour obtenir un "accord à marche forcée".
"Le gouvernement actuel a décidé de rompre avec l'impartialité et la neutralité de l'État", regrette le chef des sénateurs socialistes Patrick Kanner, tout en plaidant pour qu'une révision constitutionnelle n'intervienne qu'après la signature d'un accord local global sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
La droite sénatoriale, première force politique de l'hémicycle, a une autre lecture. "Depuis trois ans, démonstration a été faite qu'il n'était pas possible de parvenir à un accord avant les élections. Faisons donc en sorte que les élections se tiennent le plus vite possible", plaide le sénateur Les Républicains Philippe Bas.
Rapporteur sur cette réforme, ce dernier a néanmoins tenu à "détendre" le processus grâce à des amendements permettant de suspendre le processus constitutionnel jusqu'aux dix derniers jours précédant le scrutin, dans le cas où un accord global serait trouvé. Le gouvernement, de son côté, aurait préféré une date butoir au 1er juillet.
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Le Sénat, le 28 février 2024 à Paris © AFP/Archives STEPHANE DE SAKUTIN