"Il faut qu'ils voient nos larmes", le combat contre les armes de mères américaines
"Il faut qu'ils voient nos larmes", le combat contre les armes de mères américaines.
Nashville (États-Unis) (AFP) - "Au début, nous n'arrivions même pas à prononcer les noms de nos fils", déclare Sheila Clemmons-Lee, de l'organisation américaine Mothers Over Murder, qui soutient les mères ayant perdu un enfant à cause de la violence par armes à feu au Tennessee.
"Telles que vous nous voyez aujourd'hui, nous sommes le résultat de ce groupe", ajoute cette mère de "6 enfants, dont un est un ange".
Dans l'arrière-salle d'une petite église de Nashville, où se tiennent leurs réunions mensuelles, elle raconte avec ses consœurs comment les Mothers Over Murder (M.O.M.) s'entraident et se "battent contre le système".
Un système judiciaire, légal et social qui leur donne l'impression que la mort de leur fils compte moins que si elles avaient été blanches, ou s'ils avaient succombé à une maladie.
"Nous sommes en majorité noires, et issues de quartiers marginalisés. Quand un proche meurt par balle, c'est juste un numéro", explique Rafiah Muhammad.
"Ils déshumanisent nos enfants", embraye Sheila. "Il a des dreads ? C'est un voyou. Des tatouages ? A-t-il déjà été arrêté ? Voilà les questions qu'on m'a posées".
"Nos enfants sont victimes d'une fusillade de masse. Peu importe que ça se passe sur une seule journée" ou tout au long de l'année, assène-t-elle.
- "Tous les jours" -
Jocques Clemmons avait 31 ans quand il a été abattu par un policier en 2017, après avoir grillé un stop et menacé l'agent, une version des faits que sa mère rejette.
Rodney Armstrong a été tué à 29 ans, en 2020, après une dispute avec un autre homme, pendant une après-midi entre amis dans leur piscine. Les coups de feu ont réveillé Rafiah de sa sieste.
Courtney Anthony a été assassiné à Memphis par sa compagne quand il avait 34 ans, huit mois après avoir eu un bébé. "Cela fait quatre ans et je reviens seulement à la vie", dit sa mère, Sonya McGhee.
Avant de trouver les M.O.M., "je n'avais personne à qui parler librement de ce que je ressentais vraiment", relate-t-elle, évoquant le deuil, l'incrédulité, la colère et le désir d'honorer la mémoire de son fils.
Le groupe l'a aussi aidée à naviguer la procédure judiciaire, les pressions pour accepter une peine négociée. "Le système est conçu pour les criminels", répète-t-elle, pas pour les victimes. Rafiah et Sheila hochent la tête.
Selon elles, il se passe parfois une semaine sans entendre parler d'un meurtre à Nashville. "Et puis, tout d'un coup, c'est un tous les jours et tu revis ta propre histoire encore et encore", soupire Rafiah.
Le Tennessee a le huitième taux le plus élevé d'homicides par arme à feu aux États-Unis, d'après Everytown, un institut de recherche spécialiste du sujet, et des lois parmi les plus permissives du pays.
"Si tout le monde a un revolver, vous avez tout le temps peur et la police aussi, donc la probabilité que des gens soient tués augmente", pointe Rafiah.
- "Nos larmes" -
Après la fusillade de Covenant School, une école privée presbytérienne où une assaillante a tué 3 enfants et 3 adultes en mars 2023, Clemmie Greenlee a participé avec d'autres membres du groupe aux nombreuses manifestations pour réguler les armes à feu.
Les M.O.M. ont obtenu une loi pour faciliter les démarches des familles de victimes, mais rien n'a changé sur les fusils d'assaut.
"J'étais dévastée pour ces mamans. Peu importe la couleur de peau, elles ont perdu un enfant", dit la fondatrice de M.O.M.
"Mais j'étais aussi exaspérée face à toute cette attention qu'ils ont reçue, alors que je demande de l'aide tout le temps, sans réponse".
Clemmie revient de loin. Victime très jeune d'exploitation sexuelle, elle a connu la rue, les drogues, la prostitution et la prison avant de s'en sortir grâce à un programme de réhabilitation qu'elle termine en 2023. Quelques mois plus tard, son fils unique est tué dans une fusillade liée à un gang.
Pour la militante, le fond du problème, ce ne sont "pas les armes".
"Je blâme définitivement le système, la corruption de la justice, la crise du logement, les législateurs... Si nous avions l'égalité des chances, une maison, un emploi... nous n'aurions pas d'armes à feu", assure-t-elle.
Sonya ne croit pas non plus en la régulation : "Rien ne va changer tant que le cœur des hommes ne changera pas".
"Les gens n'ont pas d'empathie tant qu'ils ne sont pas assis ici avec nous", martèle Sheila. "Il faut qu'ils entendent nos histoires et voient nos larmes".
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De gauche à droite : Mark Lee, Sonya McGhee, Sheila Clemmons-Lee et Rafiah Muhammad, à Nashville, dans le Tennessee (Etats-Unis), le 7 octobre 2024 © AFP Julie JAMMOT