A Avignon, Lorraine de Sagazan interroge le système "expéditif" de la comparution immédiate
A Avignon, Lorraine de Sagazan interroge le système "expéditif" de la comparution immédiate.
Paris (AFP) - "La comparution immédiate est une procédure expéditive" qui ignore la blessure faite à la victime et sa réparation, affirme Lorraine de Sagazan, dont la pièce "Léviathan", jouée à Avignon, explore ce "dysfonctionnement" de la justice.
Pour préparer ce spectacle (jusqu'au 21 juillet au gymnase du lycée Aubanel), la metteuse en scène, 38 ans, a procédé à une immersion de plusieurs mois dans le monde de la justice: procès, entretiens avec magistrats, avocats, visites en prison auprès de personnes en réinsertion, etc., raconte-t-elle à l'AFP.
Formée en philosophie avant d'entrer dans le théâtre, elle s'est focalisée, après trente jours passés à la 23e chambre du tribunal de Paris, sur la comparution immédiate, cette procédure rapide qui permet de faire juger un prévenu dès la fin de sa garde à vue, pour des délits "souvent mineurs", selon elle.
"La comparution immédiate est une procédure expéditive qui dure une vingtaine de minutes, avec une enquête mineure, des dossiers découverts par les avocats en quelques minutes qui ne favorisent ni le jugement ni la défense", regrette Lorraine de Sagazan. Une procédure qui encourage l'incarcération avec des peines de prison fermes, également.
"Pourquoi un droit répressif ?", interroge-t-elle. Elle a observé que la victime est souvent absente de ce moment, que la blessure qui lui est faite, et donc sa réparation, sont inexistantes, "alors que ça devrait être le centre de la prise en compte de la justice". C'est "un énorme dysfonctionnement", estime-t-elle.
Sur le plateau, sept acteurs de la compagnie "La Brèche", dont certains sont venus en immersion, et un huitième, non professionnel, évoluent sous une grande cathédrale de tissu rose, à la fois grotte inquiétante et abri, portant des masques qui ressemblent à leur visage tout en créant un trouble dans la perception.
L'acteur amateur a fait face à plusieurs comparutions immédiates et emmène le public cheminer dans les histoires de trois autres prévenus. Chacune soulève des problèmes différents.
- "Sanctuaire des chagrins" -
"Ce +Léviathan+ pose la question: +qu'est-ce qui est violent ?+" et interroge plus globalement "le système pénal et sa logique police-tribunaux-prison", souligne Lorraine de Sagazan. "Un système répressif qui ne fait qu'ajouter de la peine à la peine et ne permet pas de réinsertion".
La metteuse en scène, qui travaille avec Guillaume Poix, auteur du texte, a exploré, dans ses recherches, les questions de justice réparatrice dans différents pays: "médiations diverses, tribunaux populaires, commissions vérité-réconciliation, abolitionnisme pénal vu comme un changement de paradigme sur ce qui peut faire justice".
Ou encore, en France, les "peines alternatives" ainsi que les "alternatives à la peine", encore rares, faute de moyens (travail d'intérêt général, mesure éducative).
Le propos n'est pas de donner au public une résolution mais de proposer des oeuvres qui soient un "contre-espace" permettant d'"interroger, d'embarrasser, de déstabiliser, de faire plier les évidences".
Autre contre-espace complémentaire au spectacle: l'artiste a demandé, pendant deux ans, à des "personnes ayant vécu une procédure judiciaire qui a abouti ou pas, dont elles contestent le verdict ou pas", de lui confier un objet symbolique.
La récolte des objets est exposée dans une installation intitulée "Monte di Pieta", à la Collection Lambert d'Avignon, montée avec la scénographe Anouk Maugein.
On y trouve "200 objets liés à la douleur d'une injustice": un procès-verbal, un non-lieu, des plaquettes d'anti-dépresseurs, une robe de mariée, des peluches, une arme, des jouets, un scooter volé et incendié.
Cela permet de "visualiser des douleurs qui sont invisibilisées par les procès ou l'absence de procès", dit-elle. "Une sorte de sanctuaire des chagrins".
Accédez à l'intégralité de l'article, choisissez un abonnement
La metteuse en scène française Lorraine de Sagazan à Paris le 27 mai 2024 © AFP/Archives JOEL SAGET